Contraintes de production des vins liquoreux dans les Coteaux du Layon
[Synthèse rédigée dans le cadre d'un enseignement de géographie intitulé « étude intégrée des milieux biophysiques » à l'université Rennes 2]
La production d'un vin liquoreux nécessite l'obtention d'un taux de sucre important, conditionnée par le phénomène de botrytisation, lui-même sensible aux facteurs propres au terroir. Ces facteurs peuvent être schématiquement classés en trois groupes : les facteurs naturels, découlant de la nature du sol, du relief, des apports en eau, de la température et de l'exposition ; les facteurs humains, incluant les pratiques culturales et l'adaptation de la structure deproduction ; la troisième variable, la plus sensible, étant l'aléa climatique, qui conditionne la réussite ou l'échec de la production. Il s'agit de dégager les principaux facteurs expliquant l'existence d'une production de vin liquoreux dans les Coteaux du Layon, territoire à première vue peu propice à celle-ci. L'observation directe des phénomènes en jeu sur les parcelles de Rochefort-sur-Loire permettent de dégager certains éléments d'explication.
Les données macroclimatiques ne permettent pas d'expliquer l'existence de cette production. En effet, le Val de Loire, situé au nord de la zone de culture de la vigne, subit de surcroît l'influence océanique atlantique : le climat humide semble cantonner la région à produire des vins secs à l'acidité importante. Les températures et l'ensoleillement, traduits techniquement par les degrés-jours et l'indice de Huglin, semblent autoriser la culture de cépages blancs, sans pour autant permettre l'obtention naturelle d'un taux de sucre suffisant pour la production de vins liquoreux. Les éléments de réponse se trouvent donc du côté des facteurs mésoclimatiques et microclimatiques. Les facteurs naturels locaux donnent un premier élément d'explication. Le premier est d'ordre pédologique : construits sur la formation schisteuse du massif armoricain, les sols sont superficiels, à plus forte raison sur les coteaux. En effet, l'existence d'une pente induit le phénomène d'érosion et le glissement progressif des sols vers le bas du coteau. Cette configuration pédologique implique une croissance rapide et forcée de la vigne et une maturité plus précoce du cépage chenin blanc. Par ailleurs, cette pente produit une distribution inégale des températures en fonction de l'altitude, de l'éloignement par rapport à la berge, des écoulements d'air froid et des inversions thermiques. La culture sur coteaux exposés au sud-sud-est permet localement de bénéficier du maximum d'ensoleillement possible. Enfin, il faut souligner le rôle prépondérant du Layon, tant parce qu'il est à l'origine de cette configuration en coteaux que parce qu'il impacte les apports en eau et les températures : les brouillards qui se forment à sa surface sont indispensables au processus de botrytisation, tandis qu'il amortit l'effet du gel. Ainsi, la production de vins liquoreux est limitée aux parcelles les moins sensibles au froid et aux variations de température, à mi-coteau, comme celles situées au fond d'un talweg pour l'AOC Quart de Chaume.
Les sols superficiels, la culture à mi-coteau sur le versant exposé sud-sud-est, la proximité du Layon qui apporte des brouillards sont les principaux facteurs naturels locaux permettant d'obtenir à la fois une maturité précoce, et par conséquent de provoquer la sur-maturation et la botrytisation nécessaires à l'obtention d'un vin blanc liquoreux dans les Coteaux du Layon. On comprend que cette configuration est très limitée dans l'espace ; seules certaines parcelles en bénéficient. Le facteur humain constitue le deuxième élément de réponse. D'une part, les pratiques culturales, qu'on peut catégoriser en pratiques pérennes, semi-pérennes et annuelles, répondent aux contraintes naturelles. Elles permettent de tirer profit des conditions du milieu et d'en réduire les effets néfastes, avec l'objectif final d'atteindre les critères fixés pour l'obtention d'un vin liquoreux. D'autre part, cette production conditionnée par des critères qualitatifs (AOC) constitue une contrainte sociale, en cela qu'elle nécessite l'adaptation de la structure de production. Les pratiques pérennes, comme le choix d'un porte-greffe adapté au type de sol, ou encore d'un cépage précoce ou tardif, forment le premier élément de réponse de l'homme aux contraintes de cette production. Le cépage chenin blanc, le seul autorisé pour les vins liquoreux des Coteaux du Layon, a une maturité moyenne qui permet à la vigne de ne pas souffrir des conditions climatiques (ni précoce...), et d'amener le raisin à sur-maturité (...ni tardif). Deuxièmement, Le maintien d'un enherbement, c'est-à-dire d'une concurrence pour l'eau plus ou moins grande (un rang sur deux ou tous les rangs), influence l'apport en eau de la vigne, et donc le taux de sucre et la précocité du raisin. Ce type de pratiques semi-pérennes, qui s'applique localement en fonction des conditions pédologiques locales (rétention d'eau, etc...), conditionne également l'obtention ou non d'un vin liquoreux. Enfin, certaines pratiques annuelles peuvent accentuer ou compenser l'effet de millésime. L'effeuillage des vignes côté ouest, et la préservation du feuillage côté est permet de tirer partie de l'ensoleillement sans risquer l'échaudage.
Cette production nécessite également une redéfinition de la pratique viticole et une adaptation structurelle. D'abord, une telle production introduit l'idée d'une prise de risque dans un secteur viticole fragile et largement tourné vers un objectif quantitatif. Le viticulteur doit prévoir ce risque, et le cas échéant trouver un moyen de compenser ses pertes. Cette prise de risque se définit par un nombre élevé de facteurs contraignants qui induit une production limitée quantitativement. Au-delà du métier tel qu'il est pensé, les pratiques elles-mêmes doivent évoluer. L'interdiction de la mécanisation pour l'AOC Coteaux du Layon, couplée à une vendange en plusieurs passages due à un phénomène de botrytisation difficile à contrôler, nécessite de la part du viticulteur l'investissement dans une force de travail importante. De la même façon, afin de répondre à l'objectif de qualité qu'il s'est fixé, le viticulteur doit investir dans du matériel spécifique tel que les tonneaux en bois, plutôt que dans du matériel de production standard et meilleur marché. La production de vins liquoreux semble étroitement liée à un grand nombre de contraintes naturelles propres au territoire, auxquelles répondent un nombre non moins important d'adaptations humaines. Cependant, cette définition à grands traits ne serait pas complète sans parler de l'évolution de ce système complexe dans le temps. En effet, la notion d'aléa climatique intervient au moins à deux échelles, les plus importantes pour la viticulture : celle de l'année (millésime) et celle du changement climatique. Le rôle du viticulteur est de minimiser ce risque et de s'adapter aux changements futurs. À l'échelle interannuelle, les variations climatiques peuvent perturber de manière importante le développement de la vigne. Une période de gel au moment du débourrement peut contrarier la production de liquoreux, en repoussant le cycle végétatif de la vigne et, dans le meilleur des cas, en provoquant une maturité tardive. Autre exemple : des épisodes de pluie récurrents avant les vendanges peut compromettre le développement du botrytis et provoquer l'apparition de la pourriture grise.
Les variations interannuelles doivent être considérées comme emboîtées dans un phénomène à plus long terme, celui du changement climatique. La production de liquoreux dépendant de nombreux paramètres, elle risque de subir des transformations : distribution verticale de la température sur les coteaux, réserve utile du sol... Si localement son impact reste à définir, le changement climatique doit être intégré comme variable de production à long terme. Enfin, le facteur culturel n'est pas un facteur de production à proprement parler, mais il est aujourd'hui facteur de préservation du terroir. La remise en culture des coteaux, malgré la baisse de productivité et les difficultés qu'elle entraîne, montre que la production d'un vin liquoreux dans les Coteaux du Layon découle du choix de défendre l'idée d'une production qualitative, et plus largement celle de terroir. À l'échelle de l'exploitation du Château de Plaisance à Rochefort-sur-Loire, le choix de pratiques agricoles respectueuses de l'environnement montrent que la préservation d'un terroir ne passe pas seulement par la conservation de traditions, mais aussi par l'adaptation et l'évolution des pratiques.