Entrée n°21
La mobilisation des agriculteurs se poursuit en Inde, un an après l'adoption par le parlement de trois lois controversées qui visent à libéraliser le secteur agricole. Ces lois mettent fin au contrôle des prix pour de nombreuses denrées de base et amènent la possibilité de les vendre à des prix librement négociés en dehors des marchés de gros supervisés par les États (mandis), devenus des quasi-monopoles locaux. La disparition des outils de régulation du marché agricole (qui soutiennent l'activité de 41,5% de la population active et l'indépendance alimentaire d'1,3 milliards d'habitants) fait craindre une concentration des terres agricoles au profit des plus riches, comme dans l'état du Bihar, et l'augmentation de la sous-alimentation. Mené par les agriculteurs du nord du pays et en particulier par la communauté sikh, le mouvement de contestation fait face à des accusations de séparatisme portées par le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi, qui s'est appuyé sur la Cour suprême pour tenter de légitimer sa position. Le mouvement bénéficie néanmoins d'un large soutien populaire : le 26 novembre dernier, il a été à l'origine de ce qui est considéré comme la plus grande grève au monde, avec un nombre de participants estimé à 250 millions.
Fin septembre, l'initiative internationale Land Matrix a rendu son troisième rapport. Comme l'explique le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), il « dresse le bilan des acquisitions de terres à grande échelle dans les pays en développement et de leurs impacts socio-économiques et environnementaux ». Dans son résumé du rapport, le Cirad montre que la majorité des acquisitions foncières sont le fait d'entreprises multinationales des pays développés ou en développement. L'agriculture vivrière y est remplacée par des cultures de rente (caoutchouc, palmier à huile, canne à sucre, betterave à sucre) très gourmandes en eau et destinées à l'exportation. Conséquences : menaces sur l'approvisionnement local et la sécurité alimentaire des pays en développement, « faible création d'emploi », « dégradation des habitats naturels et conflits de ressources ». La Land Matrix recommande plutôt d'encourager « l'inclusion des petits exploitants agricoles », d'« intégrer des dispositions relatives aux droits humains et à l’environnement » dans les traités internationaux sur les règles d'acquisition foncière et d'« accroître la transparence » sur les transactions. Elle appelle ainsi à la régulation publique du commerce des terres, quand la tendance est à la dérégulation (comme en Inde), à la faveur d'une convergence entre les intérêts capitalistes et ceux des gouvernements nationalistes.
Après une décennie de difficultés et de retards dans la construction de l'EPR (réacteur de 3ème génération) de Flamanville, puis l'arrêt du projet de réacteur expérimental de 4ème génération Astrid en 2019, qui devait permettre de concevoir un cycle fermé du combustible (c'est-à-dire le réemploi multiple du combustible usé) et dont la construction est repoussée à l'horizon de la fin du siècle, le programme nucléaire civil français semble dans l'impasse. C'est dans ce contexte (et alors que de nombreux pays souffrent de problèmes d'approvisionnement en énergie) que le président de la république française Emmanuel Macron a annoncé un plan d'investissement dans un nouveau format de réacteurs nucléaires, les Small Modular Reactors (SMR). Un rapport présenté cet été par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) estime que les SMR constituent une des meilleures options pour l'avenir du nucléaire français, notamment face à la fin de vide des réacteurs actuels à l'horizon 2040. Les rapporteurs identifient néanmoins plusieurs difficultés : la production d'un réacteur inédit, fonctionnel et compétitif à courte échéance, l'obtention d'un carnet de commandes suffisant alors que le marché des SMR s'annonce très concurrentiel, le coût de l'énergie qui pourrait s'avérer plus élevé par rapport aux grands réacteurs qui bénéficient d'un effet d'échelle, ou encore l'harmonisation des certifications de sûreté à l'échelle internationale. Dans une note d'information publiée début octobre, L'IRSN fait remarquer que « la plupart des concepts (de SMR) font appel à des solutions techniques innovantes dont la faisabilité et l’efficacité restent à démontrer. En tout état de cause, seul un examen détaillé des choix et des hypothèses de conception permettrait d’évaluer les gains possibles en matière de sûreté par rapport à des réacteurs de puissance plus élevée ». En outre, l'arrêt du projet Astrid porte un coup à la filière de production de combustible recyclé MOX (qui devait pouvoir être réutilisé de multiples fois dans les réacteurs de 4ème génération), avec comme conséquence une requalification de ce combustible usé en déchet et la nécessité d'étudier son stockage définitif; une option qui n'avait pas encore été envisagée. La députée Émilie Cadiou a également réagi au contenu du rapport en regrettant le manque d' « association du Parlement aux décisions de politique énergétique et nucléaire » et de « transparence démocratique (...) des décisions (...) prises (...) par des administrations et des instances technocratiques ». De son côté, son collègue Thomas Gassilloud a rappelé un des enjeux de la filière nucléaire française, soit le lien étroit de dépendance entre les programmes civil et militaire : « Je juge utile de prendre en compte la dissuasion dans notre pays. Or, la dissuasion nécessite de posséder des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, avec des chaufferies nucléaires, pour qu’ils restent furtifs, ce qui nécessite le maintien d’une filière nucléaire. »