Entrée n°19

Un consortium de journalistes, coordonné par l'organisation non-gouvernementale Forbidden Stories avec l'appui technique d'Amnesty Tech, a révélé une liste de 50000 numéros de téléphone parmi lesquels figurent ceux de personnalités politiques, militants des droits humains et journalistes. Un nombre difficile à estimer de ces personnalités pourrait avoir été mis sur écoute par des services de renseignement à l'aide du logiciel espion Pegasus, commercialisé par l'entreprise israélienne NSO. Jean-Marc Manach rappelle que contrairement aux pratiques dévoilées par Edward Snowden en 2013 qui consistaient en l'interception massive des échanges pendant leur transit, ces écoutes reposent sur l'exploitation de failles dites zero day (non encore découvertes et réparées) sur les terminaux de cibles désignées. Cette méthode permet de contourner le chiffrement des échanges largement déployé depuis les révélations de Snowden. Si les faits sont avérés, cette nouvelle affaire constituerait une atteinte supplémentaire au travail de la société civile et des journalistes, au même titre que la multiplication des SLAPP (Strategic lawsuits against public participation) ou « procédures bâillons », comme le signale la Revue des Médias. Ces procès à répétition sont utilisées par des lobbies et des grandes firmes à des fins d'intimidation et de pression financière sur leurs adversaires, journalistes et militants associatifs en tête. L'article égrène de nombreux cas récents, comme celui de Daphné Caruana Galizia, journaliste maltaise assassinée en 2017 alors qu'elle enquêtait sur des faits de corruption et poursuivie dans quarante-sept affaires au moment de sa mort. En France, la REM rapporte la prédilection des filiales du groupe Bolloré pour les SLAPP, ou encore les cas des journalistes Inès Léraud et Morgan Large, qui enquêtent depuis de nombreuses années sur le secteur de l'agroalimentaire en Bretagne et sont de ce fait les cibles de procès et malveillances à répétition.

Le développement du journalisme open-source (autrement appelé OSINT pour open-source intelligence) apporte néanmoins de nouvelles armes pour documenter les atteintes aux droits de l'homme et à l'environnement, comme le relève Poline Tchoubar pour France 24 à l'occasion du premier anniversaire de la catastrophe de Beyrouth. Lors de cette explosion qui a ravagé la ville, la plateforme Bellingcat s'était illustrée par sa capacité à analyser les vidéos amateur pour déterminer rapidement les causes de la catastrophe, aux côtés de groupes de recherche comme Forensic Architecture, qui met ses outils de modélisation au service de la recherche de preuves. Dernièrement, les journalistes de Bellingcat se sont penchés sur le conflit qui a opposé en avril dernier le Kirghizistan et le Tadjikistan pour le contrôle de l'eau dans la région frontalière, provoquant des émeutes meurtrières. A partir de l'analyse de données de télédétection provenant des satellites Landsat et Sentinel, les auteurs suggèrent que la diminution régulière de la disponibilité en eau ces dernières années, et plus globalement le changement climatique, serait une des causes profondes du conflit et ferait craindre de nouveaux affrontements dans les années à venir. Une hypothèse qui ne devrait pas être contredite par le dernier rapport du GIEC dont la première partie, plus alarmante que jamais, vient d'être publiée.

L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) s'alarme dans un rapport du nombre de personnes disparues en mer Méditerranée, qui aurait doublé en un an, passant de 513 victimes au premier semestre 2020 à 1146 en 2021. Le rapport pointe notamment les difficultés rencontrées par les organisations de sauvetage en mer, « la majorité de leurs bateaux étant bloqués dans les ports européens en raison de saisies administratives et de procédures pénales et administratives en cours contre les membres d'équipage ». Pendant que la société civile est mise en incapacité de porter secours, l'Europe continue d'apporter son aide aux gardes-côtes libyens, accusés de mauvais traitements, afin de rejeter les migrants vers la Libye où les atteintes aux droits humains seraient « effroyables » selon Amnesty International. Cette sous-traitance des expulsions s'adosse à l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, surnommée Frontex (pour Frontières Extérieures), dont le budget s'élevait à 460 millions d'euros en 2020. Dans un audit publié en juin, la Cour des comptes européenne pointe du doigt ses nombreuses lacunes, comme l'absence d'analyse fiable de ses besoins ou son manque d'efficacité manifeste, au regard des moyens qui lui sont accordés. Le parlement européen avait déjà symboliquement refusé d'approuver son budget en avril dernier, en raison de sa participation supposée à des expulsions forcées.