Entrée n°15

L'Etat d'urgence, mis en place en France en 2015 suite à des actes de terrorisme puis reconduit en raison de l'épidémie de Covid-19, a servi de prétexte à une numérisation à marche forcée de pans entiers de la société, et en particulier à la généralisation de moyens de surveillance automatisés. Telle est l'observation faite par Hubert Guillaud dans un article publié à la mi-mars, où l'auteur alerte sur les conséquences de cette dynamique : dissolution des collectifs et de la démocratie, dérives de l'État de droit qui tend à sanctionner les intentions, les comportements et les signaux plus que les actes et développement d'une « société de la vigilance », selon l'expression de la chercheuse Vanessa Codaccioni. Face à ces menaces, le projet collectif Technopolice, coordonné par la Quadrature du Net, propose d'utiliser la cartographie collaborative pour « documenter et (...) résister aux déploiements de nouvelles technologies policières. » Une initiative comparable à l'Atlas of surveillance mis en œuvre par l'Electronic Frontier Fondation (EFF), qui montre la généralisation de la surveillance automatique aux États-Unis, en particulier sur les campus universitaires. Mais la cartographie collaborative peut également servir des desseins opposés, comme le signale le blog Cartographie(s) numérique(s) à propos de l'initiative Dorozoku au Japon, qui propose de cartographier les rues bruyantes. Le projet a ainsi pris la forme d'un moyen de dénonciation à l'encontre des enfants bruyants et des utilisations ludiques des espaces publics. Une auto-surveillance de la population qui rappelle l'initiative « Voisins vigilants » en France, tournée en dérision par Geoffrey Dorne et sa proposition de visuels « Voisins Bienveillants » sur son blog Graphisme & Interactivité. Le même blog Cartographie(s) numérique(s) faisait état deux jours plus tard de l'influence grandissante des multinationales du numérique sur les outils libres comme OpenStreetMap, dans lesquels elles investissent de plus en plus et dont elles tirent bénéfice des données, dégradant de ce fait leur portée émancipatrice.

A l'occasion de la Journée internationale de la langue maternelle le 21 février, l'UNESCO rappelle que « 40% de la population mondiale n’a pas accès à un enseignement dans sa langue maternelle », alors que plus de 43% des langues sont menacées de disparition. Et ce, dans un contexte où l'enseignement public dans son ensemble semble se dégrader, selon un rapport conjoint de la Banque mondiale et de l'UNESCO qui relève une diminution du budget de l'éducation dans deux tiers des pays les plus pauvres. Certaines langues sont aussi victimes de politiques d'effacement, à l'image de la récente décision du gouvernement chinois de remplacer l'enseignement en langue mongole par le mandarin dans la région autonome de Mongolie Intérieure, suscitant des manifestations à travers toute la région. Une politique déjà menée ces dernières années au Tibet ou au Xinjiang, mais aussi dans de nombreux pays au cours du XXème siècle, comme en France. Une proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion doit y être définitivement adoptée ou rejetée par le parlement en avril. La proposition de loi contient des dispositions pour donner aux langues régionales le statut patrimonial de « trésors nationaux », autoriser l'usage de signes diacritiques (comme le tilde) dans les actes d'état civil et contient deux mesures très discutées concernant l'enseignement. La loi doit d'une part généraliser l'enseignement facultatif des langues régionales dans le public, mais également contraindre les communes de résidence qui ne disposent pas d'écoles bilingues à participer au financement des écoles privées en langues régionales. Une proposition qui divise, alors que la pandémie et les coupes budgétaires ont mis l'éducation nationale sous pression financière.

Échos de la mondialisation

« Les bâtisseurs de ce nouveau monde doivent être conscients qu'ils sont en train de construire une société. » Tim Berners Lee, à propos du web, 1994